Où fuir? / Where should I escape? - Les jeunes ne sont pas tous les mêmes / A french girl is speaking

26 septembre 2006

Sorbonne, mauvais sort

J’ai passé six heures à la Sorbonne pour les inscriptions pédagogiques (IP), à jouer au jeu de piste dans les couloirs et les étages pour rechercher avec une amie nos horaires. Vers 11h, lorsque nous avons réussi à choisir les cours en fonction des horaires de sport, façon jeu du taquin, nous avons débuté la queue, qui était là depuis 8h du matin et avançait très lentement. Entre temps, ils ont fermé certains des cours auxquels je voulais m’inscrire, pour une question de quota journalier. Vive la démocratie, vive l’administration. J’ai réussi à négocier un cours qui était censé être fermé. Moi aussi j’étais fermée.

Je n’avais qu’une envie, c’était m’en aller, quitter ce monde de fous. Une jeune femme asiatique nous avait demandé de l’aide, à mon amie et moi, quelques minutes avant. Il a fallu lui expliquer qu’il fallait choisir un cours par catégorie, en regardant le détail dans la brochure, et attention il y a des pages différentes en fonction des « UFR », et puis noter les horaires des « CM », obligatoires, et puis choisir les « TD » de manière à ne pas avoir à se dédoubler, puis bien faire attention aux codes à rallonge, parce que les libellés n’étaient pas indiqués, et puis faire la différence entre « L5 » et « L6 », deux semestres différents, et puis regarder sur tel tableau d’affichage pour ce cours-ci, et sur l’autre pour tous les autres, et puis, et puis, et puis… la pauvre était un peu perdue, j’avais honte, avec ma France moyenâgeuse, ses codes, ses papiers, ses files d’attente, ses panneaux, ses femmes désagréables qui nous jettent sans préavis un très méprisant « Alors vous allez vous installer ailleurs, vous serez gentilles » (Suivi, d’un air entendu, de « Ah, ça y est, les IP ont commencé… ») parce qu’on est devant les fenêtres de leur bureau (on n’obstruait même pas la porte), et les autres, testées par mon amie, qui nous voient revenir pour un conseil et lancent « Qu’est-ce qu’il y a, encore ? »

Et on est obligés d’adhérer à ce petit jeu de pions ; on se laisse piétiner, mordre ; on se laisse dire « On a des directives très strictes », qui se traduit par « On fait ce qu’on veut » ; on ne gagne rien à la course d’orientation, mais on la fait quand même.

Ô, douleur française ! Ô, traîtres lauriers d’une Sorbonne grasse et fade… On les appâte, ces troupeaux étudiants, et ils accourent même de l’étranger, grisés à l’idée de placer leurs pas sur ceux de leurs maîtres ; puis, telles les plaques océaniques, on les laisse glisser dans la fosse, s’effacer sous l’éternel et géant continent administratif, et on tue leur enthousiasme sur le pas de la porte… Ils ne seront qu’un code informatique.

23 mai 2006

Mozart assassiné

(English version in comments)

En 1939, Saint-Exupéry condamnait une société nivellante, qui tendait (déjà) à l'uniformisation des individus humains. C'était une société en mouvement, marquée par la guerre d'Espagne (1936-1939), prémices de la tristement célèbre deuxième guerre mondiale, qui se partageait entre les "bons" et les "méchants" (cela reste d'actualité). Quand on a des obstacles, on s'oblige à les surmonter, et la société allait de l'avant.

Mais...

Mais, lancée dans son ascension, la société s'est distinguée par les droits, les diplômes, les arts, les découvertes astronomiques, les sciences dures, les matériaux, les énergies, les transports, les communications, les technologies, les armes, et a oublié l'essentiel : l'Homme. Sur la route, un être tremble, poussé par le vent des innovations, piétiné. C'est l'humain, l'individu, cette petite chose en 6 534 382 000 exemplaires, entité négligeable du Grand Ensemble, épi de blé courbé dans un champ de 510 065 000 km². Le fait d'être petit dans l'univers n'impose pas d'être inexistant.

On ne se distingue que très peu par les diplômes, ainsi que je l'ai déjà exprimé précédemment. L'école, l'université, et les emplois, ont tendance à noyer les ambitions, et à ne pas prendre par les épaules, pour l'aider à se révéler, celui qui présente des dispositions particulières, et à noyer celui qui n'entre pas dans le cadre. Un parcours chaotique ou un franc parler alimentent les préjugés. On cherche dès lors, et depuis des décennies, à se distinguer par des valeurs matérielles, seules et mornes échappatoires référentielles, qui s'avèrent être le mode d'existence universel.

Où sont Mozart, Einstein, Marie Curie, Blériot, Franklin, Jung? Sont-ils réduits à l'état de totems, vénérés comme les ruines brillantes d'une civilisation perdue, une civilisation de progrès? L'Atlantide a-t-elle vraiment sombré?

Aujourd'hui, on cherche la sécurité, face aux plaies saignantes de la planète, qui nous rabaissent davantage à notre maigre condition d'humains, et nous entraînent dans le procès de l'Homme face aux hommes, où nous sommes juges, victimes, et surtout coupables. Nous nous complaisons dans un acte, passé devoir, d'auto-destruction, d'auto-flagellation. Mais nous n'avons pas le droit de perdre notre dignité en quémandant la pitié. C'est se mordre la queue et mourir. Personne d'autre que l'Homme ne peut répondre aux prières de l'Homme. Il lui faut donc assumer et se prendre en main.

Ces hommes dont on a retenu les bénéfices, ce sont, aujourd'hui, votre aïeul, votre voisine, votre collègue, votre maire, votre enfant, et vous. Comme on ne déclenche pas de passion sans objet de désir, on ne se révèle pas lorsque le terrain ne s'y prête pas. On s'enterre, on s'enracine, et la glaise qui nous forme se durcit.

"Tu ne veux point t'inquiéter des grands problèmes, tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d'homme. Tu n'es point l'habitant d'une planète errante, tu ne te poses point de questions sans réponse. [...] Nul ne t'a saisi par les épaules quand il était temps encore. Maintenant, la glaise dont tu es formé a séché, et s'est durcie, et nul en toi ne saurait désormais réveiller le musicien endormi ou le poète, ou l'astronome qui peut-être t'habitait d'abord. [...]
Que nous importent les doctrines politiques qui prétendent épanouir les hommes, si nous ne connaissons pas d'abord quel type d'homme elles épanouiront. Qui va naître? Nous ne sommes pas un cheptel à l'engrais, et l'apparition d'un Pascal pauvre pèse plus lourd que la naissance de quelques anonymes prospères. [...] La vérité, ce n'est point ce qui se démontre. Si dans ce terrain, et non dans un autre, les orangers développent de solides racines et se chargent de fruits, ce terrain-là c'est la vérité des orangers. Si cette religion, si cette culture, si cette échelle de valeurs, si cette forme d'activité et non telles autres, favorisent dans l'homme cette prénitude, délivrent en lui un grand seigneur qui s'ignorait, c'est que cette échelle de valeurs, cette culture, cette forme d'activité, sont la vérité de l'homme.*"


Petit roi familial ou grand pionnier mondial, chacun devrait avoir la possibilité d'être soi-même. Que les valeurs de l'individu soient remises au devant de la scène, sans qu'il soit nécessaire de parler au nom d'une politique, d'une croyance, ou de se mettre en marge de la société. Que l'individu soit un complément, non un des rouages d'une machine bien rodée qui ne progresse quasiment plus; une richesse. La routine use les rouages, et les rouages usés bloquent la machine. A force de viser le milieu, certains tombent en bas faute de place; il leur aurait fallu tendre vers le sommet pour toucher au milieu. Il y a partout autour de nous de jeunes possibles dont on a provisoirement éteint l'éclat, mais il est encore temps de les rallumer.

Etre soi, c'est exprimer ses possibles, réaliser ses qualités supérieures dans la mesure où elles apportent du profit et du progrès. En somme, c'est exister, tel que nous avons été formés dans notre moi profond. Certains ont besoin d'un continent entier pour s'exprimer, d'autres se contentent de plus étroite scène, mais tous se respectent, et se rejoignent.

Avec eux, avec les autres.



*Saint-Exupéry, Terre des Hommes, Gallimard Folio, pp. 21 et 159, 2006

20 avril 2006

Pôle Sud, Pôle Nord

(English version in comments)

D'un côté, je lis un article sur le recrutement de kamikazes dont certains sont plus jeunes que moi (majorité de 18-25), et c'est à vous glacer le sang, ou pire. Parfois, on préfèrerait être autruche. De l'autre, cet article un peu plus gai... Mais tout de même : on est obligé d'en arriver LA? (Source : Figaro)

"« En se focalisant trop sur les matières académiques, on rate quelque chose de beaucoup plus important », le bonheur. C’est pourquoi, le proviseur de l’un des principaux collèges privés d’Angleterre a décidé d’introduire des cours pour inculquer aux élèves cette notion fondamentale.

Wellington College, dans le Berkshire, à l'ouest de Londres, l’un des principaux collèges privés anglais, va proposer à ses élèves des leçons de bonheur, afin de combattre les difficultés vécues par certains enfants dans une société de plus en plus matérielle et obsédée par la célébrité.

« Nos enfants doivent apprendre que si nos sociétés sont de plus en plus riches, elles ne sont pas de plus en plus heureuses, un fait régulièrement démontré par les recherches en sciences sociales », a insisté Anthony Seldon, le proviseur de ce collège : « La célébrité, l'argent et les possessions sont trop souvent les objectifs des adolescents et pourtant ce n'est pas là que réside le bonheur ».

Des cours dispensés par les professeurs d’éducation religieuse

Ces leçons de bien-être seront encadrées par un psychologue de l'université de Cambridge, dans le cadre d'un projet pilote qui démarrera à partir de l'année scolaire 2006-2007. Cette nouvelle matière occupera les élèves de 14 à 16 ans pendant une heure par semaine, et leur permettra d'apprendre à maîtriser leurs émotions, à surveiller leur santé physique et mentale, et à comprendre comment interagir avec les autres dans la vie de tous les jours. Les cours seront dispensés par les professeurs d'éducation religieuse, mais en parallèle aux cours de religion proprement dits.

Wellington Collège accueille 750 garçons âgés de 13 à 18 ans et 50 filles de 16 ans à 18 ans. Les frais scolaires sont de 6.132 livres (8.850 euros) par trimestre pour les demi-pensionnaires et 7.665 livres (11.600 euros) par trimestre pour les pensionnaires."

(On s'abstient de relever le paradoxe du coût de cette formation sur le bonheur...)

En fait, je préfère cette option, même si je me demande comment on en est arrivé là.

18 avril 2006

Merci, Boboss Cl:oD

(English version in comments)

Hier, je suis allée revoir le clown Boboss, qui avait porté mon frère aîné sur ses épaules (perché sur un monocycle avec un saxophone) en 1990. J’étais avec mon troisième frère, et nous avons discuté longuement après le spectacle avec Louis Burlet (alias Boboss) Il a quitté l’école avant d’avoir 14 ans, « pourtant » il est cultivé, artiste (un vrai, pas un produit de la télé), modeste, moderne, et, par-dessus tout, il aime son métier et distribue du rire.

Mais ce qui occupe le champ visuel du public, aujourd’hui, ce sont des personnes qui gagnent de l'argent dans une fausse vraie vie, des jeunes qui ne connaissent que leur nombril, jouent encore avec leurs peluches, et se prétendent artistes, des vagues d’argent qui partent on ne sait où pour de « grandes causes » grâce à des célébrités qui ne savent pas remercier, et des présentateurs télé qui vantent les mérites de la drogue, du sexe, de la bassesse, et chez qui on retrouve toujours les mêmes invités. Alors, forcément, Boboss, qui perpétue la tradition du cirque, ne fait pas salle comble, et on n’en parle pas dans la presse. Mais lui, il dit merci.

J’ai toujours envie de pousser un coup de g. lorsque des adultes et même des jeunes vantent les mérites de l’école obligatoire jusqu’à 16 ans, et que je vois le désastre d’une trop large démocratisation de l’école, du lycée, et des universités, qui produisent des individus que leurs diplômes identiques classent dans les mêmes catégories, et qui pourtant n’ont rien en commun. Mais comment s’y retrouver lorsque l’enfant, et le jeune, n’ont pas pu exprimer leurs différences, leurs centres d’intérêts, et leurs adresses ? Bonjour les clones, adieu les couleurs… « Les hommes naissent tous libres et égaux en droits », oui, mais pas égaux socialement, pas égaux mentalement, pas égaux intellectuellement, pas égaux physiquement ; cultivez la diversité, pas les diplômes. Quelle est la honte, lorsqu’on fait redoubler un enfant qui ne sait ni lire ni écrire ? La honte est lorsqu’on le fait passer dans la classe supérieure, le condamnant à une mort certaine.

J'ai poussé mon coup de g., mais je suis toujours pas satisfaite. Il faut que j’arrête, je n’ai pas le droit d’être aussi durcie à vingt ans ; mais ce n’est pas uniquement ma faute.

Seulement, dans cette planète en déroute: où fuir?