Sorbonne, mauvais sort
J’ai passé six heures à la Sorbonne pour les inscriptions pédagogiques (IP), à jouer au jeu de piste dans les couloirs et les étages pour rechercher avec une amie nos horaires. Vers 11h, lorsque nous avons réussi à choisir les cours en fonction des horaires de sport, façon jeu du taquin, nous avons débuté la queue, qui était là depuis 8h du matin et avançait très lentement. Entre temps, ils ont fermé certains des cours auxquels je voulais m’inscrire, pour une question de quota journalier. Vive la démocratie, vive l’administration. J’ai réussi à négocier un cours qui était censé être fermé. Moi aussi j’étais fermée.
Je n’avais qu’une envie, c’était m’en aller, quitter ce monde de fous. Une jeune femme asiatique nous avait demandé de l’aide, à mon amie et moi, quelques minutes avant. Il a fallu lui expliquer qu’il fallait choisir un cours par catégorie, en regardant le détail dans la brochure, et attention il y a des pages différentes en fonction des « UFR », et puis noter les horaires des « CM », obligatoires, et puis choisir les « TD » de manière à ne pas avoir à se dédoubler, puis bien faire attention aux codes à rallonge, parce que les libellés n’étaient pas indiqués, et puis faire la différence entre « L5 » et « L6 », deux semestres différents, et puis regarder sur tel tableau d’affichage pour ce cours-ci, et sur l’autre pour tous les autres, et puis, et puis, et puis… la pauvre était un peu perdue, j’avais honte, avec ma France moyenâgeuse, ses codes, ses papiers, ses files d’attente, ses panneaux, ses femmes désagréables qui nous jettent sans préavis un très méprisant « Alors vous allez vous installer ailleurs, vous serez gentilles » (Suivi, d’un air entendu, de « Ah, ça y est, les IP ont commencé… ») parce qu’on est devant les fenêtres de leur bureau (on n’obstruait même pas la porte), et les autres, testées par mon amie, qui nous voient revenir pour un conseil et lancent « Qu’est-ce qu’il y a, encore ? »
Et on est obligés d’adhérer à ce petit jeu de pions ; on se laisse piétiner, mordre ; on se laisse dire « On a des directives très strictes », qui se traduit par « On fait ce qu’on veut » ; on ne gagne rien à la course d’orientation, mais on la fait quand même.
Ô, douleur française ! Ô, traîtres lauriers d’une Sorbonne grasse et fade… On les appâte, ces troupeaux étudiants, et ils accourent même de l’étranger, grisés à l’idée de placer leurs pas sur ceux de leurs maîtres ; puis, telles les plaques océaniques, on les laisse glisser dans la fosse, s’effacer sous l’éternel et géant continent administratif, et on tue leur enthousiasme sur le pas de la porte… Ils ne seront qu’un code informatique.